Nettie Stevens : vous n’avez jamais entendu ce nom ? C’est (hélas) tout à fait normal. Oubliée des livres d’histoire ou même de sciences, le parcours de cette brillante généticienne américaine est pourtant tout à fait exceptionnel ! Et nous parle à plus d’un titre de la place des Femmes dans notre société…
Le XIXe siècle : le Progrès, les innovations techniques, les découvertes scientifiques… enfin, par et pour les hommes ! Car à moins d’être épouse, sœur ou fille de et cantonnées aux tâches subalternes d’exécution, les femmes ne sont alors pas vraiment admises dans le milieu scientifique. On ne les en croit pas capables, figurez-vous : leur cerveau serait incapable d’abstraction…
Autant dire qu’en naissant en 1861 dans le Vermont, Nettie Stevens n’est pas tout à fait prédestinée à faire l’une des découvertes majeures de la science génétique.
Sa carrière scientifique sera courte et tardive : comme la plupart des (rares) femmes qui avaient alors la chance de poursuivre des études, Nettie commence sa vie professionnelle comme institutrice. Et si la situation confortable de son père ne l’avait pas permis, quel gâchis ! Car très vite, Nettie Stevens se distingue : toujours en tête de classe, elle boucle le cursus pour devenir enseignante en deux fois moins de temps que la normale. Pendant une dizaine d’années, elle enseigne… mais s’ennuie. Devient ensuite bibliothécaire et lit, lit, lit… Surtout, pendant ces années, elle économise. Car elle a déjà en tête un projet nécessitant une certaine autonomie financière.
C’est chose faite en 1883 : elle traverse les USA direction la Californie pour… y reprendre ses études. Franchement sur le tard et pas banal pour l’époque ! Mais Nettie s’en fiche, elle va enfin faire ce qui la passionne : de la biologie. Et valider licence et master dans la toute récente mais déjà réputée Université de Stanford, l’une des rares à accepter les femmes. Ses jobs d’été ? Dans un laboratoire, à participer à des recherches en cytologie, l’étude des cellules.
Nettie Stevens est inarrêtable : elle entame un brillant doctorat sous la direction d’un certain Thomas Morgan, spécialiste reconnu du développement de l’embryon… qu’elle impressionne ! Il appuie sa demande de bourse qui la mène une année en Europe, cœur de la recherche en biologie. Elle teste les techniques les plus innovantes d’analyse biologique, découvre une espèce de protozoaires, soutient sa thèse à 42 ans puis obtient enfin un poste permanent de chercheuse. Objectif atteint : elle se consacre désormais à 100% à la recherche. Et opte pour un sujet particulier : les éléments qui déterminent le sexe d’un embryon.
Et ce qu’elle va découvrir, d’une importance capitale pour notre compréhension des mystères de la vie, va changer la vision du rôle des femmes.
Replaçons les choses dans leur contexte : en 1903 on redécouvre seulement les travaux oubliés de Mendel sur la transmission des caractères héréditaires (suite à l’observation de petits pois dans le potager de son monastère tchèque !). En parallèle on commence à observer les chromosomes. Sans établir aucun lien entre ces deux sujets.
Nettie Stevens est persuadée de l’origine chromosomique de la détermination du sexe d’un embryon. Mais Thomas Morgan pas du tout : à l’époque, les scientifiques comme lui ou Edmund Beecher Wilson, autre star de la génétique (retenez son nom !) penchent plutôt pour une influence de l’environnement et des qualités inhérentes aux cellules. Quelle aubaine pour Nettie Stevens : aucune objection à ce qu’elle signe ses travaux de son seul nom, bien au contraire !
Pour vérifier sa théorie, elle va étudier des coléoptères et plus précisément leur sperme… et y découvre en 1905 la présence d’un chromosome spécifique qui donne les larves mâles.
La virilité mal placée va en prendre un coup : le chromosome qui donne les larves mâles – aujourd’hui baptisé Y– est tout petit alors que le féminin (X) est beaucoup plus grand. Oui, certains se sentent atteints pour si peu 😉. Enfin, cela signifie surtout que :
Symboliquement, c’est fort : le masculin est dérivé du sexe féminin, avec une différence bien moindre qu’on ne le croyait. Sacré renversement de perspective !
La découverte de Nettie Stevens démonte surtout une croyance ancrée de la société patriarcale selon laquelle lorsqu’un couple ne parvenait pas à avoir d’héritier mâle c’était (forcément) de la faute de la femme. L’histoire est pleine de femmes répudiées pour cette raison… (et encore aujourd’hui cela n’est pas acquis partout et par tout le monde). Nettie le démontre : c’est bien le spermatozoïde qui va apporter un chromosome soit masculin soit féminin.
Hélas, elle n’aura pas le temps de conclure ses travaux sur d’autres espèces : Nettie Stevens meurt d’un cancer du sein en 1912 à 50 ans. Mais aura apporté un éclatant démenti à cette affirmation de Darwin de 1871 dans Human Descent :
« Ce qui établit la distinction principale dans la puissance intellectuelle des deux sexes, c’est que l’homme atteint, dans tout ce qu’il entreprend, un point auquel la femme ne peut arriver, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de l’entreprise, qu’elle exige ou non une pensée profonde, la raison, l’imagination, ou simplement l’emploi des sens et des mains. »
Ouch !
parmi les étudiants que j’ai eu au cours des douze dernières années, je n’en ai pas eu un seul aussi capable et indépendant dans la recherche que Mlle Stevens»ou encore
«Mlle Stevens a non seulement la formation mais aussi un talent naturel ce qui est, je crois, beaucoup plus rare.»), il n’hésita pas à la rabaisser après sa mort au rang de «
technicienne [plutôt] qu’une réelle scientifique»dans un article, The scientific work of Miss N. M. Stevens. Classe, non ?
Eh oui, Nettie Stevens est une formidable illustration de l’effet Matilda.
L’effet Matilda ? Un phénomène théorisé par … une femme (évidemment !). Dans les années 80, Margaret W. Rossiter, historienne des sciences, adapte ce qu’on nommait jusque-là l’effet Matthieu. Ce qu’il dénonce ? Les découvertes scientifiques finissent quasiment toujours par être attribuées au plus renommé de l’équipe ou de l’institution, indépendamment de sa véritable contribution. Au détriment des véritables découvreurs moins capés. Autrement dit, on ne prête qu’aux riches…
Et même le nom de ce phénomène l’illustrait. Car surpriiiiise : ces collaborateurs spoliés sont très souvent… des femmes. Matthieu devint alors Matilda, en hommage à Matilda Joslyn Gage, militante féministe américaine qui au XIXe siècle déjà avait mis en évidence la spoliation des pensées des femmes par les hommes.
Au moins jusqu’au milieu du XXe siècle, rares sont les femmes scientifiques à avoir reçu une reconnaissance à la hauteur de leurs contributions. Les membres de ce triste club des Matildas, aux côtés de Nettie Stevens ?
Dès le Moyen Âge, Trotula de Salerne, chirurgienne italienne, autrice d’un traité de référence sur la gynécologie… attribué à des hommes.
Rosalind Franklin qui a réalisé le premier cliché de l’ADN… découverte fondamentale pour laquelle deux hommes ont reçu le Prix Nobel.
Jocelyn Bell-Burnell, astrophysicienne britannique qui a découvert le premier pulsar… pour lequel un certain Anthony Hewish a reçu le premier prix Nobel d’Astronomie.
En France, qui connaît Marthe Gautier ? C’est pourtant elle qui a découvert la trisomie 21 et le syndrome de Down et non celui qui recevra pour cela le Prix Kennedy en 1962 …
Et la liste est encore longue…
Alors, bien sûr, les choses bougent. Depuis 1994, Nettie Stevens est inscrite au National Women’s Hall of Fame, musée qui honore la mémoire de femmes américaines qui se sont illustrées dans les sciences, les arts, le sport… En 2016, le doodle de Google lui était consacré pour le 155e anniversaire de naissance, donnant lieu à quelques articles à son sujet. A Toulouse une allée Matilda pour la juste place des femmes dans les sciences a été inaugurée en 2019.
On avance… lentement et la route est longue ! Les femmes scientifiques restent symboliques, faisant figures d’exceptions. Le fameux « une femme a découvert… a accompli… », judicieusement épinglé par une page pastiche de Wikipédia (une pépite !). Allez jeter un œil, également, à la campagne #NoMoreMatildas lancée début 2021 par une association de femmes scientifiques espagnoles afin d’encourager les carrières scientifiques chez les jeunes femmes. Vous y trouverez les biographies de Matilda Einstein, Matilda Fleming ou Matilda Schödinger : que ce serait-il passé si ces scientifiques reconnus avaient été des femmes ? Mais aussi les biographies de femmes scientifiques oubliées comme Rosalind Franklin. Réjouissante
Les ressources sur Nettie Stevens ne sont pas très nombreuses (et cela en dit long !). On peut citer :
Sur l’effet Matilda, pour réhabiliter et (re)découvrir les femmes scientifiques :
Et puis parce qu’il est important de donner des modèles féminins, en sciences comme ailleurs, de montrer que oui, c’est possible, afin que l’effet Matilda finisse par faire partie de l’histoire, offrez aux filles (et aux garçons !) de votre entourage :
Gaëlle est une femme aux multiples pouvoirs : RH, rédactrice, Freelance et maman de 3 enfants. Elle porte toutes les casquettes à la perfection. Ayant vécu 3 grossesses, militante pour le droit des femmes et l’environnement, elle a créé en 2009 Ti-bahou : la boutique éthique des p’tits Loulous et leurs (futures) Mamans ! Les articles qu’elle nous écrit d’une plume énergisante permettent de redonner le pouvoir aux futures mamans. Elle nous donne toutes les ficelles pour prendre sa grossesse en main, découvrir notre potentiel et consommer moins mais mieux en connaissance de cause 😉 !
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