Le baby blues, parlons-en !
Baby blues. Un nom presque charmant, entre vague à l’âme et air de guitare, non ? Un nom surtout bien mal choisi, qui minimise, banalise et même romantise un baby blues qui peut inquiéter et épuiser. A quoi s’attendre, comment l’accueillir : et si on parlait vraiment du baby blues ?
Baby blues : mais que m’arrive-t-il ?
L'explication
Évidemment, l’arrivée d’un bébé chamboule tout. C’est un véritable tsunami physique, psychologique et hormonal à surmonter au cours du post partum. Après une grossesse et un accouchement qui n’ont parfois rien eu non plus du long fleuve tranquille.
Pendant 9 mois, nos hormones nous ont baignée dans un état un peu second mais hop, à peine le placenta expulsé, notre taux de progestérone euphorisante – 30 à 50 fois plus élevé que la normale pendant la grossesse !- chute en quelques heures. Sacré choc, pour le corps comme pour l’esprit.
Ce qu'il se passe pour la maman
C’est aussi le moment où tous nos repères vacillent. Et ça, c’est épuisant psychologiquement : non seulement on est en train de construire un nouveau rôle, celui de mère, mais on doit en plus l’articuler à tous les autres. Avec la responsabilité d’un petit être tout neuf, si fragile, totalement dépendant de nous qui peut sembler écrasante (spoiler : elle l’est). Le vertige. Et même un sentiment de malaise, entre amour fou inspiré par ce merveilleux bébé et hostilité envers ces nouvelles contraintes qu’il fait peser sur nos épaules fatiguées.
Dans le concret très concret du quotidien, même, on a l’impression que rien ne sera jamais plus comme avant : épuisée, débordée, on ne maîtrise pas même l’heure à laquelle on peut grignoter un bout ou prendre une douche. Ça n’est pas un hasard si le baby blues est plus fréquent après la naissance d’un premier enfant.
On peut alors se dire que, quand même, c’était mieux avant. Et même regretter ce ventre rond qui nous plaçait au centre de toutes les attentions (oui, on oublie très vite les petits maux de la grossesse). Ce qu’on traverse ? Un véritable accouchement psychique, qui va donner naissance à une mère, après l’accouchement physique qui a vu naître le bébé. Et l’un comme l’autre peuvent être plus ou moins compliqués, longs et douloureux…
Reconnaître le baby blues
Pour résumer : en post-partum, on a toutes les raisons du monde de ne pas être au top du top. Mais comment savoir si vous traversez un baby blues ?
Le cliché de la jeune maman qui passe du rire aux larmes a du vrai : hypersensibilité, sentiment de tristesse inexpliquée et pleurs immaîtrisables toujours au bord des yeux sont plus que fréquents. Vous n’aviez jamais mesuré jusque-là la dimension dramatique d’un simple verre renversé ? Une phrase un peu malhabile, même d’un inconnu ? C’est le torrent de larmes (le baby blues pouvant rendre très premier degré, prévenez vos proches adeptes du 3e voire du 12e !).
Les signes
Les signes d’un baby blues sont variés : le moral qui fait le grand huit entre agitation et abattement, des rires nerveux, une tendance à parler beaucoup, une surexcitation. Ou des colères incontrôlées, une irritabilité et une agressivité dont absolument tout le monde peut faire les frais. Oups.
Parfois des troubles du sommeil en rajoutent une couche… difficile de faire la part des choses avec le rythme imposé par bébé, pas toujours en phase avec le nôtre (un euphémisme est caché dans cette phrase, saurez-vous le retrouver ?). Evidemment, si c’est un sentiment de stress, de ne pas être à la hauteur, des angoisses sur le mode « et si » listant toutes les choses horribles qui pourraient arriver, des cauchemars et rêves intenses qui gâchent vos nuits, peu de place au doute.
Le baby blues peut aussi se manifester physiquement : maux de crâne, douleurs abdominales, palpitations, perte d’appétit et nausées… Des symptômes qui peuvent avoir de multiples autres causes : consultez toujours très rapidement, en post-partum.
Bref, des signaux pas vraiment univoques. Un indice : on appelle également le baby blues, blues du troisième jour car il se manifeste souvent à ce moment-là. Parfois pile quand on quitte la maternité et que notre partenaire reprend le travail… Ce sentiment d’être jetée dans le grand bain sans bouée, voire avec des poids aux chevilles, ne facilite pas les choses.
On ne le voit pas arriver, ce baby blues. Il vous coupe les ailes alors que vous n’étiez qu’émerveillement et euphorie. Voilà qu’entre en scène la culpabilité : vous vous en voulez de pleurer devant bébé, d’avoir des pensées noires alors que vous avez tout pour être heureuse, de regretter d’être devenue mère (mettons fin au tabou : c’est une pensée NOR-MA-LE). Et… cela empire les choses.
Baby blues : faut-il s’inquiéter ?
Cette liste peut faire peur mais pas de panique ! Déjà, on arrête de culpabiliser : vivre un baby blues ne fait pas de nous la pire mère du monde. Si vous ne devez lire et retenir qu’une phrase de cet article, c’est celle-ci :
Le baby blues est normal, fréquent, passager et sans gravité.
Normal : vous avez toutes les raisons de ressentir un petit coup de moins bien ou d’affolement.
Fréquent : 50% à 80% des femmes traversent un baby blues, plus ou moins fortement, plus ou moins longtemps en en ayant plus ou moins conscience (d’où cette large fourchette). Quand on vous disait que vous n’étiez pas seule. Pourquoi certaines femmes le ressentent et d’autre non ? Certaines études suggèrent un lien avec une progestérone particulièrement haute pendant la grossesse ou des yoyos plus marqués d’œstriol.
Passager et sans gravité : il peut durer quelques jours ou seulement quelques heures. Parfois vous n’avez même pas le temps de mettre un nom dessus ! Le plus souvent, il atteint son intensité maximale autour du 5e jour après l’accouchement puis diminue progressivement, en quelques jours. On dit que si un baby blues dure au-delà du 10e jour il faut s’en inquiéter. C’est à la fois vrai et insuffisant :
- Oui, un baby blues qui dure peut-être le signe d’une dépression post-partum qui s’installe. Mais aucun automatisme.
- À l’inverse, échapper au baby blues n’est pas un totem d’immunité : une dépression post-partum peut apparaître plus tard, dans les six mois après l’accouchement.
Différence entre baby blues et dépression
La grande différence entre baby blues et dépression ? Leur durée et leur intensité.
En cas de baby blues on ne se sent pas complètement débordée ou pétrifiée par les angoisses, on a conscience de surréagir par rapport à la réalité de sa situation. Et cela passe sans traitement.
La dépression postnatale, elle, touche entre 8% et 15% des mères avec des symptômes très similaires mais beaucoup plus durables et difficilement supportables au quotidien qui nécessitent un accompagnement solide, psychologique voire médicamenteux. Des facteurs hormonaux, endocriniens et psychosociaux se conjuguent pour son apparition sans qu’on ne sache trop comment.
Le risque ? Ne pas détecter une dépression postnatale en mettant ses symptômes sur le dos d’un baby blues et d’un épuisement normaux, en refusant de se plaindre d’une situation à laquelle toutes les mères sont confrontées. Souvent par crainte d’être jugée. La clé ? S’écouter et parler.
Comment traverser le baby blues ?
Regarder son baby blues bien en face, le nommer, en prendre la mesure peut aider à le traverser au mieux et éviter que ne s’installe une dépression.
1 - N’écoutez pas celles et ceux qui vous disent que vous vous regardez le nombril
Que c’est symptomatique de notre époque, les de mon temps et blablabla (voilà : essayez de n’entendre que blablabla). Hippocrate écrivait déjà sur les difficultés maternelles postnatales… au IVe siècle avant J-C. !
2 - N’hésitez pas à demander de l’aide et à être égoïste.
De nombreuses études montrent qu’un accompagnement de qualité par un entourage aidant est essentiel pour éviter la dépression post-partum (on vous en dit plus dans notre article pour mieux vivre votre post-partum). Pas envie d’un défilé de visites ? Dites-le. Certains ne le comprennent pas ? Tant pis pour eux. Au passage, vous contribuerez à briser des tabous : oui, devenir mère peut être difficile. C’est beaucoup de bonheur mais pas que du bonheur.
3 - Penchez-vous sur votre assiette.
Notre alimentation est une clé de notre équilibre physique et mental :
- attention aux carences, notamment en fer, fréquentes en post-partum. Une fatigue prononcée peut aggraver le baby blues, pas d’impasse sur les bilans sanguins
- mettez au menu des omega-3, indispensable à l’équilibre de notre système nerveux central et dont bébé s’approprie la moitié de vos réserves pendant la grossesse pour construire son système nerveux !
- misez sur deux acides aminés: le tryptophane et la tyrosine. Leur super-pouvoir ? Contrecarrer une protéine déclenchée au début du post-partum qui inhibe sérotonine et dopamine. Autrement dit les clés chimiques de notre humeur ! Piochez dans cette liste selon vos préférences : produits laitiers, soja, œufs, riz complet, poissons et volailles, amandes, bananes, persil, graines de courge, avocat, algues ou… chocolat.
4 - Ne minimisez pas votre baby blues.
Oui, il fait partie du processus de la naissance et du devenir mère, au même titre que l’accouchement physique.
Oui, se sentir fragile, vulnérable, inconfortable, pas à sa place les jours, les semaines qui suivent ce bouleversement est absolument normal.
Mais baby blues ou pas, son nom importe peu. Le plus important est que vous soyez à l’écoute de vos ressentis, de vos peurs, de vos questions et que vous vous sentiez libre d’en parler. A votre conjoint·e, vos ami·e·s, votre sage-femme, votre pédiatre, votre mère, un·e psychologue…
Il ne faudrait pas que le baby-blues soit comme une totoche que l’on enfourne dans la bouche des bébés pour les faire taire, les faire dormir ou les rassurer : un syndrome que l’on brandirait à la vue des nouvelles mères, pour leur dire : « Ne vous tracassez pas et ne nous tracassez pas, tout cela est banal, commun, habituel. Ce n’est qu’un — mauvais ? — moment à passer[…] ».Et si malgré tous ces poncifs, vous vouliez en savoir plus ? Les lieux communs vous irritent, vous cherchez à comprendre ? Vous vous dites que cela vaut peut- être la peine qu’on vous écoute un peu, surtout en ces moments si privilégiés, si fragilisants, où vous sentez confusément que beaucoup se joue ou se rejoue, de vous — peut-être de votre vie passée ou de celle à venir —, de votre enfant, de votre couple. Vous vous dites que cela vaut peut-être la peine d’ouvrir la bouche, de jeter cette sacrée sucette et de parler, de vous, de votre couple, de votre enfant, de ce qui vous viendra. Le baby-blues, s’il existe, c’est cela qu’il doit permettre. Qu’on vous écoute et qu’on vous parle ! Et ce n’est pas parce que ça arrive aussi aux autres, à presque toutes les autres, le baby-blues, que ça n’a rien à dire. Au contraire […]
Patrick Bensoussan dans Le baby-blues n’existe pas
5 - Accueillez ce baby blues comme un moment constructif
Pour certains médecins il est utile pour ajuster notre maternité fantasmée depuis 9 mois voire des années à la réalité, prendre pleinement conscience de notre rôle de mère et de ses responsabilités. Et même développer l’hypersensibilité nécessaire à la compréhension de notre bébé (ce que Donald Winnicott appelle période de préoccupation maternelle primaire) : être mère d’un nouveau-né modifie notre état psychiatrique et c’est normal. Avec des manifestations très concrètes : la monté de lait qui picote juste avant que bébé ne réclame la tétée, le réveil qui précède de quelques secondes le sien alors qu’on était profondément endormie. Des mystères non encore élucidés par la science, qu’il faut vivre pour y croire !
Enfin, pas d’excès inverse : traverser ou non un baby blues prononcé n’est en rien annonciateur de la mère que vous allez être. Il existe autant de façons de devenir mère que de femmes, à vous de construire la vôtre. Petit à petit.
Pour aller plus loin
Un podcast : Un temps pour naître : #12 Baby blues, ou dépression du post partum ?
Un site non médical de soutien, d’écoute et de conseils dans le cadre de la difficulté maternelle : Maman Blues
Un documentaire : La naissance d’une mère, réalisé par isabelle Bonnet- Murray, cocottes minute production, 2010.
Un article pour aider à distinguer baby blues et dépression post partum : La dépression post-partum
Sur la nutrition :
- Un cocktail nutritionnel pour prévenir le baby blues
- Les oméga 3 limitent le risque de dépression postpartum
Quelques ouvrages :
- Fabienne Sardas, Maman blues : Du bonheur et de la difficulté de devenir mère, éditions Eyroles, , 2016
- Patrick Ben Soussan, Le baby blues n’existe pas, éditions Erès, collection mille et un bébés, 2003
- Jacques Dayan, Psychopathologie de la périnatalité, éditions Masson, 2014 et Maman pourquoi tu pleures ? les désordres émotionnels de la grossesse et de la maternité, éditions Odile Jacob, 2002
Articles universitaires :
- Cindy Fernandes. Baby-blues et dépression post-natale : évaluation des connaissances des femmes : quelle information ont-elle reçue ?. Gynécologie et obstétrique. 2012. ffdumas-00765348f – école de sage-femmes de Clermont-Ferrand
- Granger AC, Underwood MR. Review of the role of progesterone in the management of postnatal mood disorders. J Psychosom Obstet Gynaecol. 2001 Mar;22(1):49-55. doi: 10.3109/01674820109049950. PMID: 11317610
- Une étude montrant l’importance d’un entourage aidant : Takahashi Y, Tamakoshi K. Factors associated with early postpartum maternity blues and depression tendency among Japanese mothers with full-term healthy infants. Nagoya J Med Sci. 2014 Feb;76(1-2):129-38. PMID: 25129999; PMCID: PMC4345732.
- De la transparence psychique à la préoccupation maternelle primaire. Une voie de l’objectalisation, M. Bydlowski, B. Golse, Le Carnet PSY 2001/3 (n° 63), pages 30 à 33
Mama Writer : Gaëlle Ruby
Gaëlle est une femme aux multiples pouvoirs : RH, rédactrice, Freelance et maman de 3 enfants. Elle porte toutes les casquettes à la perfection. Ayant vécu 3 grossesses, militante pour le droit des femmes et l’environnement, elle a créé en 2009 Ti-bahou : la boutique éthique des p’tits Loulous et leurs (futures) Mamans ! Les articles qu’elle nous écrit d’une plume énergisante permettent de redonner le pouvoir aux futures mamans. Elle nous donne toutes les ficelles pour prendre sa grossesse en main, découvrir notre potentiel et consommer moins mais mieux en connaissance de cause 😉 !