Enceinte sans le savoir : qu’est-ce que le déni de grossesse ?
Si on vous dit grossesse, vous pensez certainement projet bébé-ventre rond-coups de pieds. Peut-être nausées-remontées acides-jambes lourdes. Et, évidemment : 9 mois (environ). Des mois pour se préparer petit à petit à l’arrivée d’un nouveau-né et à son futur rôle de parent. Sauf que, parfois, il ne se passe rien de tout cela… et l’on découvre sa grossesse (très) tardivement – au moment de l’accouchement pour certaines !- sans connaître ces étapes : le déni de grossesse concerne chaque année 1.500 à 3.000 femmes en France.
Tabou, nié par certains : au-delà les idées reçues, que savons-nous réellement du déni de grossesse ?
Le déni de grossesse, késako ?
Le déni de grossesse n’est pas si rare
Le déni de grossesse désigne le fait d’être enceinte sans en avoir conscience au-delà du 3 ème mois de grossesse. La grossesse reste totalement indétectée par la femme comme par son entourage.
On parle de déni de grossesse partiel lorsqu’elle est détectée après le premier trimestre mais avant le terme. De déni de grossesse total, plus rare, quand elle est découverte au moment de la naissance.
Associé dans les médias à de dramatiques affaires, le déni de grossesse est pourtant bien moins
exceptionnel qu’on ne le pense : un peu plus d’une grossesse sur 2.500 n’est pas détectée avant l’accouchement et les dénis au-delà de 20 semaines de grossesse concernent plus d’une grossesse sur 500 !
Oubliez les clichés : il s’agit très majoritairement de femmes vivant en couple, parfaitement en âge de procréer, avec un emploi stable, un bon niveau socio-éducatif. 95% des femmes vivant un déni de grossesse n’ont pas d’antécédents, de troubles mentaux, de situation personnelle dramatique…
Bref : le déni de grossesse touche des femmes de tous âges, de tous milieux sociaux, de la puberté à la ménopause. Des jeunes filles comme des mères de plusieurs enfants : plus de la moitié des dénis de grossesse concernent des femmes ayant déjà été enceintes consciemment. Et dans l’immense majorité des cas, tout finit bien pour le bébé comme pour la maman.
Il n’empêche : qu’une grossesse passe totalement sous les radars de tout le monde reste difficile à concevoir. Et pourtant ! Le déni de grossesse ou grossesse cryptique est une réalité, scientifiquement documentée, reconnue officiellement depuis 1985. Même si la science peine à l’expliquer totalement…
Une grossesse peut-elle vraiment passer totalement inaperçue ?
Oui : en cas de déni de grossesse, la femme ne constate aucun symptôme flagrant de grossesse. Et son entourage non plus.
Pas ou pas vraiment d’aménorrhée : 57 à 74% des femmes, selon les études, affirment avoir eu leurs règles régulièrement, parfois jusqu’au 8e mois. Pour certaines, les règles artificielles provoquées par leur contraception l’expliquent. En ce qui concerne les autres ? Mystère ! Ajoutez l’absence de gonflement abdominal ou mammaire notable, de prise de poids importante, de nausées inhabituelles, de perception de mouvements fœtaux.
Et lorsque certains signes sont perçus, ils ne sont jamais interprétés dans le sens d’une grossesse. Cette gêne abdominale persistante ? Des troubles digestifs. Pas de règles ce mois-ci ? Les cycles irréguliers sont fréquents, après tout. Prise de poids ? Fatigue ? Un rythme de vie de dingue, un relâchement sur l’hygiène de vie, les microbes hivernaux… Il y a toujours une explication rationnelle.
Bon, d’accord, mais enfin, où est-il, ce bébé qui se développe, là, dans ce ventre ? Il devrait se voir, non ?!
En cas de déni de grossesse, les muscles abdominaux se mobilisent pour empêcher l’utérus de se
développer vers l’avant en l’appuyant vers l’arrière et le haut. Intestins, poumons, diaphragme se poussent et il se développe le long de la colonne vertébrale. Bébé suit le mouvement, ni vu ni connu, champion de cache-cache, étiré de tout son long. Résultat, même chez une femme très mince, la grossesse peut rester totalement invisible. Certains couples ont même des relations sexuelles quelques heures avant l’accouchement sans se douter de quoi que ce soit !
Le déni de grossesse : quand le cerveau prend le pas sur le corps
Le grand manitou de tout cela : le cerveau. Qui mobilise muscles, organes, neurotransmetteurs afin de protéger le psychisme de la femme pour qui une grossesse est à ce moment-là inconcevable. Pour des raisons multiples, qui lui sont propres, dont la médecine n’a pas encore percé les mystères : conviction d’être stérile ou dans une période non-fertile (après une naissance, notamment) ? Non-désir ou ambivalence quant au fait de devenir mère ? Conflits psychiques relatifs au corps, au couple, aux projets de vie ? Traumatismes passés ou présents ? Rien de tout cela ? Une certitude, la grossesse n’est pas conscientisée par la femme enceinte : il existe bien une grossesse physique mais pas de grossesse psychique.
L’exact inverse d’une grossesse nerveuse quand, sous l’effet d’un fort désir d’enfant, le ventre s’arrondit, les nausées apparaissent, les règles disparaissent sans grossesse physique réelle. Rien à voir non plus avec le déni affectif : dans ce cas, la grossesse est sue et visible mais non-investie affectivement, la future maman continuant d’agir comme si elle ne l’était pas.
Enfin, le déni de grossesse n’est pas non plus une volonté de cacher sa grossesse à son entourage : le cerveau agit à l’insu de la femme, convaincue à 3000% qu’elle n’est pas enceinte. Tellement convaincue qu’elle en devient convaincante… même auprès des médecins. Un rapport du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français établissait en 2010 que 38% des femmes ayant vécu un déni avaient consulté un médecin qui n’avait pas diagnostiqué la grossesse !
La plus fascinante démonstration de cette maîtrise du corps par le cerveau ? Lorsqu’elle finit par intégrer consciemment l’information de sa grossesse, son corps devient en quelques heures celui d’une femme enceinte de quatre, six, huit mois, selon le stade auquel elle est détectée !
Le déni de grossesse : quelles conséquences pour le bébé et la mère ?
Le déni de grossesse : quels risques physiques ?
Les dénis de grossesse dramatiques sont médiatisés, certes, mais les néonaticides restent extrêmement rares. Le principal danger, lorsque le déni va jusqu’à l’accouchement, est de donner naissance seule, dans un lieu non adapté, sans être préparée, avec des risques accrus d’hémorragie de la délivrance, de manipulations inadaptées du nouveau-né, l’impossibilité de gérer d’éventuelles complications… Mais ces accouchements sont eux aussi peu fréquents : environ 5% des cas de dénis de grossesse.
En revanche, l’absence de suivi de la grossesse, pour l’enfant comme pour la mère, expose à des complications plus fréquentes : retard de croissance intra-utérine, accouchement prématuré ou
éclampsie, maladie de fin de grossesse qui associe hypertension et protéines dans les urines. Nous médicalisons à l’excès le suivi des grossesses, c’est vrai. Mais certains examens, recommandations et interdits (alcool, tabac, médicaments, alimentation…) ne sont pas pour autant superflus ! Lorsque la grossesse est détectée avant le terme, les analyses et examens qui n’ont pas pu être faits sont rattrapés dans la mesure du possible.
La levée du déni : un choc psychologique
Le plus souvent, une simple consultation pour des maux de ventre, des saignements, des douleurs de dos, une hypertension aboutit à l’annonce de la grossesse. On parle alors de levée du déni. Un choc, source de stress aigu, qui laisse peu de place pour un travail d’acceptation. Un traumatisme d’autant plus fort quand il est proche du terme.
Et en cas de déni de grossesse total, l’accouchement est souvent très rapide : en moins d’une heure, une femme qui ne se savait pas enceinte se retrouve mère ! Le réflexe de survie du cerveau face à un évènement aussi incompréhensible ? La dissociation, ou amnésie traumatique : il oublie totalement ce qu’il s’est passé, efface même le souvenir d’avoir accouché et de l’existence d’un bébé. C’est ce qui est le plus dangereux pour le nouveau-né, dans les rares cas où la femme est seule pour accoucher.
Sans aller jusqu’à cet extrême, la levée du déni a toujours un impact psychologique, même plusieurs mois avant terme. Avec de potentiels retentissements sur l’accouchement, le post-partum, la création du lien avec le bébé.
Il faut parfois faire face à l’incrédulité -voire aux soupçons !- de l’entourage et même du corps médical… Qui s’ajoutent à des sentiments de honte, de culpabilité, des regrets : de ne pas avoir compris, d’être passée à côté, d’avoir mis la santé de son bébé en danger, de ne pas avoir vécu ces mois de grossesse, d’avoir été trahie par son corps. De ne pas correspondre à la parfaite image d’Epinal de la maternité sacralisée et de l’instinct maternel. De ne pas être une bonne mère, en somme… Accepter que l’on a été dupée par son cerveau n’est pas le plus simple des défis !
Le déni de grossesse : comment le détecter, le prévenir, le surmonter ?
Des procès médiatisés, des documentaires et fictions ont mis les projecteurs sur le déni de grossesse et commencé à faire tomber le tabou sur ce phénomène qui a pourtant toujours existé. Mais la route est longue, encore, pour le comprendre et accompagner les femmes, les parents qui le traversent.
Comment être sûre que je ne fais pas un déni de grossesse ?
Les neurosciences se sont emparées d’un nouveau domaine de recherche : l’intéroception étudie comment le cerveau traite les signaux internes du corps et module l’activité de l’organisme en réponse, ainsi que les troubles de cette relation cerveau-corps. Dont le déni de grossesse. A la clé, l’espoir d’améliorer dépistage et prise en charge, de mieux former les personnels médicaux. Voire de prévenir. Mais à ce jour, il n’existe pas plus de profil-type de femme plus ou moins exposée au déni de grossesse que de facteurs de risque identifiés avec certitude : impossible de construire une politique de prévention.
Et si on fait un déni de grossesse, aucun moyen de le détecter. C’est même sa définition…
Mais rassurez-vous : le simple fait de vous poser la question indique qu’une grossesse est concevable dans votre esprit. Le meilleur indice que vous ne faites pas de déni de grossesse ! Inutile d’investir dans des tests de grossesse mensuels systématiques. Cependant, si cela devient une véritable angoisse, n’hésitez pas à en parler à un·e professionnel·le.
Comment accompagner un déni de grossesse ?
L’accompagnement psychologique lors de la levée du déni est primordial. Même pour des femmes bien entourées, sans difficultés particulières face à l’arrivée d’un enfant non-attendu. Pour l’entourage, partenaire, enfants aînés, un accompagnement psychologique peut également être d’une grande aide.
Pourtant, aujourd’hui il n’existe aucun suivi spécifique automatique. Trop souvent, on se contente d’une échographie, de toute une batterie de tests et analyses afin de s’assurer que bébé et maman vont bien physiquement. Au mieux, une recommandation de se faire suivre est émise.
Quelques hôpitaux vont heureusement plus loin, comme le CHU de Lille qui a récemment mis en place des groupes de paroles animés par une sage-femme, une pédopsychiatre et une femme ayant vécu un déni de grossesse. L’objectif : mettre des mots, partager son vécu. Dans tous les cas, un accompagnement psychologique voire psychiatrique spécialisé en périnatalité, dès l’annonce de la grossesse, est recommandé. Après la naissance, un séjour dans une unité petite enfance ou dans un hôpital de jour spécialisé en périnatalité peut être utile.
Enfin, bien sûr, primordial, essentiel, précieux : le soutien d’un entourage bienveillant, compréhensif et ouvert. Une épaule qui aide, accompagne pour les préparatifs en accéléré, les démarches administratives, la gestion logistique des aînés ou du retour à la maison. Qui protège et soutient face au reste du monde. Et enfin, qui encourage la parole de la femme sans pour autant la renvoyer sans cesse à cet événement.
Pour finir, rassurez-la, rassurez-vous, déculpabilisez : dans l’immense majorité des cas, une fois géré le choc, le déni est relégué au rang de mauvais souvenir. Chacun finit par trouver sa place, bébé rattrape son éventuel retard de croissance et le lien se crée.
Pour aller plus loin
- Le podcast Un bel imprévu, en 3 épisodes, mini-série de Marion Bothorel du podcast Passages sur
Louie Media - Le déni de grossesse ,J. LANSAC, P. O’BYRNE, J.M. MASSON, 34èmes journées nationales du
CNGOF, 2010 (Tours) : - Déni de grossesse : des groupes de paroles uniques en France, sur le site du CHU de Lille
- Chaulet S, Juan-Chocard AS, Vasseur S, Hamel JF, Duverger P, Descamps P, et al. Le déni de grossesse : étude réalisée sur 75 dossiers de découverte tardive de grossesse. Annales Médico- Psychologiques, Vol 171 – N° 10 – décembre 2013
- Dans le cerveau des mamans. La maternité, l’amour, et le baby-blues expliqués par les neurosciences, Bottemanne H, Joly L. Éditions du Rocher, 2022.
- Comment expliquer le déni de grossesse ?, Monique Bydlowski, Grands dossiers de Sciences Humaines n°20, 2010.
- Déni de grossesse : « Au moment de l’accouchement, l’état de ces femmes est inimaginable »,
entretien avec la psychanalyste Sophie Marinopoulos, Le Figaro, 2019 - Wessel J, Gauruder-Burmester A, Gerlinger C. Denial of pregnancy – characteristics of women at risk. Acta Obstet Gynecol Scand 2007;86(5):542-6.
- Enquête qualitative auprès de femmes ayant fait un déni de grossesse sur leur prise en charge par les médecins généralistes, Brun M, Petit C, thèse, avril 2021
- Déni de grossesse : mise au point sur les spécificités cliniques, Hugo Bottemanne, Lucie Joly, La Revue du Praticien, 2022
Mama Writer : Gaëlle Ruby
Gaëlle est une femme aux multiples pouvoirs : RH, rédactrice, Freelance et maman de 3 enfants. Elle porte toutes les casquettes à la perfection. Ayant vécu 3 grossesses, militante pour le droit des femmes et l’environnement, elle a créé en 2009 Ti-bahou : la boutique éthique des p’tits Loulous et leurs (futures) Mamans ! Les articles qu’elle nous écrit d’une plume énergisante permettent de redonner le pouvoir aux futures mamans. Elle nous donne toutes les ficelles pour prendre sa grossesse en main, découvrir notre potentiel et consommer moins mais mieux en connaissance de cause 😉 !