Faut-il (encore) avoir peur de l’épisiotomie ?
L’épisiotomie ? L’un de ces termes dont on ne soupçonne pas l’existence avant d’aborder le monde merveilleux de la grossesse et de l’accouchement. Et quand on découvre ce dont il s’agit, argh…
L’épisiotomie angoisse nombre de futures mamans. Et véhicule son lot d’idées reçues. Faisons le point : qu’est-ce que l’épisiotomie ? Quand est-elle justifiée ? Est-elle toujours si fréquente ? Peut-on l’éviter ? S’y opposer ?
L’épisiotomie : quoi, pourquoi, comment ?
L’épisiotomie, c'est quoi ?
Il n’y a pas 36 façons de la décrire…
L’épisiotomie consiste à inciser le bas du vagin afin de faciliter le passager du bébé lors de l’accouchement.
Concrètement ? Médecin ou sage-femme manie scalpel ou ciseau pour couper la paroi vaginale – peau, muscles superficiels du périnée et muqueuse vaginale- sur quelques centimètres (jusqu’à 5cm parfois).
Oui, ça fait envie…
L’épisiotomie : pourquoi nous fait-elle peur ?
Au-delà de cette description factuelle pas très enthousiasmante, pour quelles raisons la craint-on, cette épisiotomie ?
La douleur ? L’incision est rarement douloureuse : au moment où elle est généralement pratiquée, la peau est tellement tendue et/ou les contractions tellement douloureuses qu’on ne ressent rien. Si, promis, vraiment ! Une anesthésie locale peut cependant être pratiquée (même si vous êtes sous péridurale : l’anesthésie n’est pas toujours efficace à ce niveau).
En revanche, lorsque les points de suture sont réalisés (eh oui, il faut la refermer, cette incision…), c’est une autre histoire. On envisage de vous recoudre à vif ? Faites-vous entendre ! La suture doit être pratiquée sous anesthésie.
Au-delà de ce moment, qui n’est clairement pas une partie de plaisir, le fond du problème est… la pratique de l’épisiotomie elle-même. Ce qu’on lui reproche :
- des risques de complications,
- un recours parfois abusif et/ou dans le mépris du consentement des femmes,
- son utilité même !
On vous explique tout ça ?
L’épisiotomie en débat : un acte chirurgical qui n’est pas anodin
Des suites d’épisiotomie parfois difficiles
Si certaines s’en sortent vite et bien, avec peu de douleurs, les suites d’épisiotomie peuvent être difficiles : saignements et risque d’hémorragie, infection, hématomes, douleurs persistantes… Une cicatrisation normale prend en moyenne 3 semaines mais cela peut être beaucoup plus long, notamment pour la cicatrisation interne.
Des complications à long terme
Les suites de l’épisiotomie peuvent être compliquées à plus long terme : inflammation chronique, lésions d’endométriose apparaissant sur la cicatrice d’épisiotomie, problèmes de continence, de sphincter anal…
L’épisiotomie s’accompagne parfois (rarement mais ça existe) de douleurs persistantes ou sensations modifiées lors des relations vaginales. Des associations et même des médecins n’hésitent pas à parler de mutilation sexuelle !
Un impact psychologique
Une étude américaine de 2017 a mis en évidence que 8 mois après un accouchement, les femmes ayant subi une épisiotomie ont une moins bonne estime de leur propre corps et une sexualité moins épanouie que les autres.
Une étude à prendre avec du recul en raison de son échantillon restreint mais qui a le mérite de mettre en lumière une question trop souvent sous-estimée : les impacts de l’accouchement sur le post-partum et la santé mentale maternelle.
Bref, des questions loin d’être anecdotiques…
L’épisiotomie, au fond, ça sert à quoi (à qui) ?
Une remise en cause progressive
L’épisiotomie n’a rien de nouveau : le premier ouvrage médical la mentionnant date de… 1742 ! Elle s’est ensuite généralisée jusqu’à devenir la norme : pendant longtemps, accouchement de primipare = épisiotomie systématique.
Un principe qui ne commencera à être (timidement) remis en cause qu’au début des années 1980 ! Mais à partir de là, les preuves scientifiques de son inutilité voire de sa contre-productivité vont s’accumuler :
- Thacker et Banta analysent la littérature scientifique de 1860 à 1980 et arrivent à cette conclusion : il n’existe aucune preuve scientifique d’un bénéfice quelconque de l’épisiotomie de routine. Oups.
- Des études remettent ensuite en cause son rôle protecteur en cas de risque avéré de déchirure.
- Enfin, en 1995, Robert Woolley publie le « premier réquisitoire vraiment structuré contre l’utilisation large de l’épisiotomie » qui marque un véritable tournant. A sa suite, ça y est : un consensus international se dégage pour limiter drastiquement le recours à l’épisiotomie. L’OMS la classifie « acte non recommandé ».
Les justifications du recours à l’épisiotomie scientifiquement invalidées
Car ces études ont totalement invalidé… tout ce qui avait fait de l’épisiotomie l’acte chirurgical le plus pratiqué en salle d’accouchement après la section du cordon ombilical !
Notamment ses deux principales justifications :
- L’épisiotomie permettrait de prévenir les déchirures graves, notamment pour un premier accouchement, limitant ainsi les risques d’incontinence urinaire ou anale.
❌ Faux ! Les études démontrent que le risque de déchirure profonde du périnée est accru en cas d’épisiotomie : l’association extraction instrumentale + épisiotomie augmente les risques de lésions sévères. - L’épisiotomie serait préférable à une déchirure
On estimait qu’une section franche des tissus par incision était de toute façon préférable à une déchirure non maîtrisée. ❌ Encore faux ! Chez une femme en bonne santé, une déchirure naturelle reste généralement superficielle et, si elle est plus profonde, suit les fibres naturelles du muscle : elle se guérit mieux, avec moins de risques de séquelles.
En résumé, toutes les études établissent que nos périnées s’en sortent largement mieux en cas de pratique très restrictive de l’épisiotomie !
L’épisiotomie est très (mais alors très) rarement nécessaire
Mais est-elle parfois médicalement justifiée, cette épisiotomie ?
En cas de détresse de la mère ou/et du bébé qui exige d’accélérer la sortie de la tête bloquée par un muscle du périnée, en extrême urgence et avec un risque avéré de graves lésions du sphincter anal, peut-être. Mais même dans ce cas, rien d’automatique : ventouse, cuillères ou forceps peuvent être utilisés sans épisiotomie. Même pour un premier accouchement.
L’épisiotomie systématique n’est jamais justifiée. Même en cas de :
- présentation en siège ou postérieure (bébé regarde vers l’avant, sa tête bloque sa sortie), jumeaux, gros bébé,
- périnée sur le point de se rompre naturellement au moment de l’expulsion,
- déchirures graves antérieures.
Et évidemment, toutes les études concordent : il n’y a aucune justification, vraiment aucune, pour la mère comme pour le bébé, à une épisiotomie systématique préventive pour un premier accouchement.
Alors, épisiotomie ou non : à quoi m’attendre ?
Où en est-on en france ?
Ces recommandations ne sont pas celles de militantes mais du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF)… même s’il a fallu les attendre jusqu’en 2005 (big up aux associations et leur travail de fond de longue haleine). Et l’épisiotomie a encore continué pendant des années d’être (trop) largement et systématiquement pratiquée en France. Pourquoi ?
Eh bien, on a continué comme on a toujours fait, comme souvent. Il faut dire qu’un accouchement plus rapide, c’est quand même plus confort et pratique… pour le corps médical, les services débordés en manque de personnel, les maternités avec objectifs de rentabilité. Aux dépens du corps et du bien-être des Femmes…
Mais alléluia, les chiffres ont fini par suivre lorsque les membres du corps médical sont devenus suffisamment nombreux à contester réellement la pratique de l’épisiotomie :
- 1998 : 71,3% des primipares subissent encore une épisiotomie ! Un taux qui baisse à 47% en 2010… 34,9% en 2016. Pour l’ensemble des accouchement, on passe de 50% en 2003 à 20,1% en 2016.
- Et la bonne surprise nous est offerte par l’enquête nationale périnatale de 2021 : le taux d’épisiotomie en France descend à 8,3% ! Les primipares (16,5%), les multipares (2,9%), les accouchements avec extraction instrumentale (28,2% contre 55,6% en 2016) : tous sont concernés par cette baisse. Aujourd’hui, certaines maternités ont des taux d’épisiotomie inférieurs à 1%.
Mais il y a un mais : la situation reste très hétérogène selon les maternités, les territoires. Et des pratiques semblant d’un autre âge (« mais on ne vous préviendra même pas si on doit faire une épisiotomie ! ») ont encore cours…
Donc oui, l’épisiotomie peut encore être un sujet lors de votre accouchement.
Puis-je m'opposer à l’épisiotomie ?
Oui : le consentement n’est jamais optionnel en médecine. Loi Kouchner de 2002, recommandations du CNGOF : il s’applique à l’épisiotomie comme à tout acte médical.
Dans les faits, il est parfois difficile, dans le feu de l’action, alors que l’on souffre, inquiète pour son bébé, d’en apprécier la justification médicale réelle.
Le meilleur conseil : renseignez-vous au maximum en amont, questionnez les pratiques de la maternité dans laquelle vous prévoyez d’accoucher, parlez-en avant avec les différents intervenants, insistez sur le sujet dans votre projet de naissance (« je préfère prendre le risque d’une déchirure ») et le jour J auprès de l’équipe qui vous accueille, briefez votre partenaire… Et intéressez-vous à votre périnée.
Accouchement et périnée : comment le préparer, le préserver, le soigner ?
Ça n’est pas un secret, accouchement et périnée = #cestcompliqué ! Mais vous pouvez l’aider à mieux passer cette période délicate.
Pas d’impasse sur la rééducation périnéale
Ok, ça n’est pas une partie de plaisir et on préfèrerait profiter de son congé maternité autrement qu’en faisant des montgolfières, fleurs et autres portes d’ascenseur avec sa zone intime.
Mais avez-vous vraiment envie de retrouver les énormes serviettes du post-partum à cause de fuites urinaires ?
Sans parler d’incontinence anale, descente d’organes, sensations lors des relations sexuelles. Oui, ça sert à tout ça, un périnée !
Et la prévention ?
Certaines études soulignent que chez les femmes qui vont accoucher pour la première fois, les massages du périnée permettraient d’éviter les déchirures nécessitant des points ou les épisiotomies en améliorant l’élasticité des tissus.
Dans tous les cas, prendre soin de votre périnée facilitera la récupération post-accouchement : vous aurez appris à le connaître, le soigner, l’exercer avant la naissance.
Comment faire ? 4 à 6 semaines avant la date présumée d’accouchement, sur feu vert médical, massez doucement, plusieurs fois par semaine, avec une huile végétale neutre de qualité. Plusieurs mouvements sont à réaliser, externes et internes : votre sage-femme pourra vous les expliquer.
Pendant l'accouchement
C’est surtout pendant l’accouchement que l’on peut vraiment faire la différence pour notre périnée.
- Un projet de naissance qui favorise la physiologie naturelle de l’accouchement diminue les risques d’accouchement qui s’éternise et de recours aux instruments : être libre de ses mouvements, choisir sa position (pousser couchée sur le côté limite la pression sur le périnée)…
- Un massage périnéal au cours du 2e stade du travail, l’application d’une compresse chaude et/ou l’exercice d’une pression pour soutenir le périnée au moment de la sortie de la tête diminuent le risque de déchirure grave et aident à une meilleure récupération en post-partum.
L’après épisiotomie ou Déchirure
Une épisiotomie a été pratiquée malgré tout ? Vous avez subi une déchirure ? Quelques précautions s’imposent pendant la cicatrisation :
- Aux toilettes essuyez-vous toujours de l’avant vers l’arrière,
- Optez pour une toilette douce mais rigoureuse à l’eau tiède,
- La zone ne doit pas macérer : séchez délicatement en tamponnant avec une serviette propre douce.
- C’est douloureux ? Pensez à la bouée, pour vous asseoir.
Enfin, si vous avez du mal à récupérer physiquement ou psychologiquement, ne restez surtout pas seule avec vos questions et votre souffrance. - N’hésitez jamais à consulter en cas de douleurs ou de gêne pendant les rapports sexuels.
Non, ça ne fait pas partie du package. Non, il ne faut pas serrer les dents en attendant que ça passe. On ne vous prend pas au sérieux ? On vous dit que c’est dans la tête ? Allez voir quelqu’un d’autre. - Vous avez subi une épisiotomie sans consentement ou malgré votre refus ?
Demandez des explications à l’équipe médicale, récupérez votre dossier avec les courbes de monitoring et sollicitez l’avis d’un autre professionnel de santé.
Vous pouvez également saisir la Commission des Relations avec les Usagers et de la Qualité de la Prise en Charge (CRUQPC) qui existe dans chaque établissement de santé pour officialiser votre demande. - Surtout, parlez-en.
A une sage-femme ou autre professionnel⸱le de santé, des amies, une associations… C’est aussi une façon de militer pour que les choses continuent de changer.
Pour aller plus loin…
Episio.info , site d’information sur l’épisiotomie (de l’association AFAR)
Enquête Nationale Périnatale 2021, Santé Publique France
Des associations : ressources, aides, espace de dialogue
- Le CIANE, Collectif Interassociatif autour de la Naissance, agréé pour la représentation des usagers dans le système de santé. Son ambition : faire entendre les attentes et droits des femmes et couples, améliorer les conditions de la naissance, faire évoluer les attitudes et pratiques entourant la maternité vers plus de respect des personnes et de la physiologie de l’accouchement en se fondant sur des données factuelles et probantes (evidence-based medicine).
Il est constitué d’associations françaises dont : - L’AFAR, Alliance Francophone pour un Accouchement Respecté et sa très riche base de données documentaires.
- L’association maman blues qui propose notamment des groupes de parole et un réseau de bénévoles pour écouter, soutenir et informer sur la difficulté maternelle.
Recommandations officielles et bonnes pratiques
- CIANE. La fin de l’épisiotomie ?
- Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français. L’épisiotomie, recommandations pour la pratique clinique, 2005
- Accouchement normal : accompagnement de la physiologie et interventions médicales, recommandation de bonne pratique, HAS (Haute Autorité de Santé), 2017
- SHAHOEI, R. et autres. « The effect of perineal massage during the second stage of birth on nulliparous women perineal: A randomization clinical trial», Electronic physician, vol. 9, n o 10, 2017, p. 5588-5595.
Des études et articles sur les conséquences de l’épisiotomie
- Woolley RJ. Benefits and risks of episiotomy: a review of the English-language literature since 1980. Part 1&2. Obstet Gynecol Survey 1995; 50 : 806-35.).
- Riethmuller D , Ramanah R , Mottet N . Quelles interventions au cours du dégagement diminuent le risque de lésions périnéales ? RPC Prévention et protection périnéale en obstétrique CNGOF . Gynecol Obstet Fertil Senol 2018 ; 46 (12) : 937 – 47 .
- Zielinski R, Kane Low L, Smith AR, Miller JM. Body after baby: a pilot survey of genital body image and sexual esteem following vaginal birth.Int J Womens Health. 2017; 9:189-198
- Élodie Delafoy. Informations reçues et vécu des femmes : à propos de l’épisiotomie. Gynécologie et obstétrique. 2017. ffdumas-01585485f, Mémoire pour obtenir le Diplôme d’Etat de Sage-Femme.
Mama Writer : Gaëlle Ruby
Gaëlle est une femme aux multiples pouvoirs : RH, rédactrice, Freelance et maman de 3 enfants. Elle porte toutes les casquettes à la perfection. Ayant vécu 3 grossesses, militante pour le droit des femmes et l’environnement, elle a créé en 2009 Ti-bahou : la boutique éthique des p’tits Loulous et leurs (futures) Mamans ! Les articles qu’elle nous écrit d’une plume énergisante permettent de redonner le pouvoir aux futures mamans. Elle nous donne toutes les ficelles pour prendre sa grossesse en main, découvrir notre potentiel et consommer moins mais mieux en connaissance de cause 😉 !