Ces femmes qui nous inspirent : Lucy Stone, la Femme qui voulait rendre le monde meilleur
Un voyage vers le Massachusetts du XIXe siècle, cela vous dit ? Nous partons à la rencontre d’une personnalité incroyable : Lucy Stone. Abolitionniste, suffragette, première femme à accomplir… une liste impressionnante de grandes premières ! Une féministe d’avant-garde qui a consacré sa vie à lutter contre les inégalités.
Le début d'un combat
« D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai été une femme frustrée »
« From the first years to which my memory stretches, I have been a disappointed woman. »
Discours lors de la Convention Nationale des Droits des Femmes de Senaca Falls, New-York, 1848
C’est ainsi que Lucy Stone répond à un interlocuteur résumant le mouvement pour les Droits des Femmes à un petit groupe de femmes frustrées. Déprimant ? Non ! Car elle poursuit.
Oui, elle a été frustrée sans cesse par la place assignée aux femmes dans l’éducation, le mariage, la religion…
Oui, l’avenir qu’on lui proposait en tant que femme -couturière, gouvernante ou institutrice- l’a particulièrement frustrée.
Mais elle ajoute : « Ce sera l’affaire de ma vie de faire grandir cette frustration dans le cœur de chaque femme jusqu’à ce qu’elle ne s’y soumette plus jamais. » [1].
Dès son plus jeune âge et toute sa vie durant, Lucy Stone va prendre le contrepied de ce qu’on attend d’une femme. Avec force et détermination.
Aux sources de sa révolte ? Sa mère, réduite à quémander quelques sous, les voler dans la bourse paternelle ou vendre des fromages en cachette parce que son père, violent et alcoolique, lui refuse l’accès aux finances pour faire tourner leur foyer de 9 enfants. Ou encore lire dans la Bible que la femme doit obéissance aux hommes dont elle reste subordonnée toute sa vie. Insupportable !
Alors, toute jeune, Lucy se fait des promesses. Elle étudiera les langues anciennes afin de lire les textes sans dépendre des traductions masculines. Mieux : elle ne dépendra jamais d’un homme !
Une combattante du quotidien
Une vie personnelle remplie de combats politiques
La vie de Lucy Stone, dans ses aspects les plus intimes va être un acte politique.
En 1818, dans une ferme du Massachussetts, 8e enfant d’une famille modeste, Lucy Stone naît… Lucy Stone. Car elle se mariera, oui, mais refusera de prendre le nom de son mari : « My name is my identity and must be not lost »[2].
Inédit et scandaleux dans l’Amérique du milieu du XIXème siècle ! Son mari l’aura d’ailleurs convaincue de l’épouser malgré ses réticences en faisant de leur mariage un coup de pied à l’ordre établi : un mariage entre égaux, garantissant à Lucy son indépendance, sa carrière, ses finances. Ils liront même lors de la cérémonie un texte de dénonciation publique contre la législation du mariage !
Lucy Stone n’en est alors pas à sa première remise en cause des convenances, lois ou traditions pour arracher les mêmes droits que les hommes.
Un combat pour étudier
Elle ne plie pas aux ordres de son père qui refuse qu’elle poursuive des études ? Il pense la décourager en exigeant que non seulement elle finance seule scolarité et pension mais qu’elle le dédommage : étudier, c’est priver la famille d’un revenu. Lucy le prend au mot : couture, ménages, remplacements d’enseignants… elle le rembourse.
Elle découvre alors que le professeur homme qu’elle remplace gagne deux fois plus qu’elle pour les mêmes taches ? Elle proteste suffisamment fort pour obtenir une augmentation substantielle. Du jamais vu !
Et hors de question de se contenter de son école de filles. L’Oberlin College est la première institution d’enseignement supérieur des USA à s’ouvrir aux femmes en 1837 ? Elle saute sur l’occasion, s’aventure jusqu’en Ohio pour devenir à 29 ans la première femme du Massachussetts diplômée d’une université. L’une des toutes premières des USA !
Mais même au sein de cette université progressiste, Lucy et son amie Antoinette Brown (qui deviendra la première femme ordonnée pasteur aux USA et sa belle-sœur) doivent se contenter de suivre leurs cours de rhétorique sans y prendre la parole : la Bible interdirait aux femmes de parler en public… Lucy qui sait désormais déchiffrer les textes anciens, l’affirme : c’est faux, la Bible est en réalité friendly to woman. Elle convainc le professeur de les laisser débattre (magnifiquement) l’une contre l’autre. Les femmes des professeurs (oui, vous avez bien lu !) exigent de mettre fin à l’expérience ? Qu’à cela ne tienne, Lucy et Antoinette réunissent leur société clandestine de débats dans les bois.
"comme un homme"
Même la garde-robe de Lucy Stone devient politique ! Elle est l’une des toutes premières et rares femmes à adopter le bloomer, en privé comme en public. Adieu robes entravantes à soulever des deux mains pour marcher, monter des escaliers : ce pantalon court bouffant sous une jupe aux genoux la laisse libre de ses mouvements. Comme un homme.
Enfin, pour son avenir professionnel, devinez quel est son choix ? Une voie fermée aux femmes qui lui permette de poursuive ses combats, bien sûr !
Making the world better : à l’action !
Rendre le monde meilleur
S’affirmer dans sa vie privée c’est bien. Contribuer à faire changer les choses à grande échelle, c’est mieux ! Lucy Stone va y consacrer sa vie professionnelle. Jusqu’au bout. Juste avant sa mort, elle aurait demandé à sa fille de poursuivre son combat : « rendre le monde meilleur ». Vaste programme…
Le déclic ? Initiée par ses frères au mouvement anti-esclavagiste, elle découvre Angelina et Sarah Grimké. Deux femmes abolitionnistes qui osent s’exprimer en public dans le Sud ségrégationniste ! Un tournant décisif dans la vie de Lucy Stone : c’est décidé, elle deviendra conférencière.
Son métier de conférencière
S’affirmer dans sa vie privée c’est bien. Contribuer à faire changer les choses à grande échelle, c’est mieux ! Lucy Stone va y consacrer sa vie professionnelle. Jusqu’au bout. Juste avant sa mort, elle aurait demandé à sa fille de poursuivre son combat : « rendre le monde meilleur ». Vaste programme…
Le déclic ? Initiée par ses frères au mouvement anti-esclavagiste, elle découvre Angelina et Sarah Grimké. Deux femmes abolitionnistes qui osent s’exprimer en public dans le Sud ségrégationniste ! Un tournant décisif dans la vie de Lucy Stone : c’est décidé, elle deviendra conférencière.
Ce métier n’est pas convenable pour une femme ? Tant mieux, elle travaillera ainsi « à l’élévation de [son] sexe ». Sa motivation grandit lorsque son Eglise congrégationniste interdit les discours abolitionnistes, en particulier prononcés par les femmes. Et redouble lorsque sa congrégation juge un diacre passé outre cette interdiction. Lucy vote évidemment contre toute punition… mais son vote n’est pas comptabilisé : elle n’est qu’une femme. Elle bout de rage.
La convergence des luttes
Enfin, les sœurs Grimké ouvrent les yeux de Lucy sur la convergence des luttes qui seront désormais les siennes : dans cette Amérique d’hommes blancs, ségrégationniste et patriarcale, le parallèle entre le sort des femmes et celui des esclaves est frappant.
Diplômée, elle commence en 1848 sa carrière de conférencière au sein de la Massachusetts Anti-Slavery Society, société anti-esclavagiste impressionnée par son talent et ses convictions. Et Lucy va très vite intégrer à ses discours la question des droits des femmes : droit de vote, droit au divorce en cas de mari alcoolique, égalité des droits dans le mariage…
Fabuleuse oratrice aux discours passionnés, elle attire les foules, devient vite célèbre, gagne des partisans… et plutôt bien sa vie. Elle concrétise son engagement pour les droits des femmes en co-fondant associations et conventions pour les droits des femmes [3]et en créant le Woman’s Journal, hebdomadaire de référence à succès qui fera beaucoup pour l’avancée des droits féminins aux Etats-Unis.
La convergence des luttes n’est pas du goût de tout le monde. Parmi les abolitionnistes, certains craignent que ses audaces vestimentaires et discours féministes éclipsent leur message. Parmi les suffragettes, on déplore son soutien au 5ème amendement qui veut accorder le droit de vote aux hommes afro-américains avant les femmes.
Mais Lucy gardera toujours son double cap : lutter contre toutes les inégalités, défendre tout autant les droits des afro-américains que des femmes. Quitte à rompre avec ses alliées.
Merci pour Nous Toutes, Lucy Stone
Je pense, avec une gratitude sans fin, que les jeunes femmes d’aujourd’hui ne savent pas et ne pourront jamais savoir à quel prix leur droit à la liberté d’expression et à la parole en public a été gagné. »[4]
Essayons de l’imaginer, au moins.
Il en faut, du courage, à cette époque, pour embrasser ces causes. Encore plus quand on est une femme, qu’on prétend exercer un métier d’homme, vivre libre et indépendante. Avec ses bloomers et ses cheveux en carré court, Lucy Stone est une déclaration de guerre ambulante à la société blanche patriarcale !
Aux applaudissements se mêlent systématiquement des lancers de légumes pourris. Des hommes se pressent en masse pour l’empêcher d’être entendue. On l’asperge d’eau glacée ? Lucy serre les dents et son châle et continue, impassible, son discours.
Elle a dû parfois renoncer, rattrapée par son époque. Insultée, menacée dans la rue, elle abandonne ses bloomers : ils lui auront donné autant de confort physique que d’inconfort moral, regrette-t-elle. Mais les robes imposantes et corsets, c’est fini !
L’une de ses sœurs décède ? C’est elle, non ses frères, qui abandonne (provisoirement) ses études pour s’occuper des enfants, revenir près de sa mère. A la naissance de sa fille, c’est elle qui se retire de la vie publique. Et si elle conserve son nom au quotidien, elle doit toujours signer les documents officiels en tant qu’épouse de.
Mais ce que Lucy Stone a accompli a considérablement fait avancer la cause des femmes.
Le 19e amendement garantissant le droit de vote aux femmes américaines, introduit au Congrès en 1878, sera ratifié en 1920. Le droit de vote des femmes progressera dans le monde entier.
A sa suite, à partir des années 20, les militantes pour le droit des femmes à conserver leur nom s’appelleront les Lucy Stoners.
Lucy, qui a ouvert la voie à des générations de féministes, est inscrite au National Women’s Hall of Fame, a sa statue au Boston Women’s Memorial, une rue de Nantes à son nom. Et les choses ont bien changé.
Pourtant, nombre d’obstacles auxquels Lucy Stone a dû faire face ne sont pas totalement levés pour les femmes… Être militante, casser les codes, remettre en cause la société n’est toujours pas un long fleuve tranquille. Mais Lucy nous y encourage : son père, l’Eglise, les opinions dominantes et même ses partenaires de lutte, personne n’aura eu raison de sa détermination à faire ce qu’elle voulait.
Ecoutons-la :
« Maintenant, tout ce dont nous avons besoin est de continuer à dire la vérité sans crainte, et nous ajouterons à nos rangs ceux qui feront pencher la balance du côté de l’égale et pleine justice en toutes choses. »[5]
C’est promis, Lucy.
Pour aller plus loin
Les ressources sur Lucy Stone ne sont pas si nombreuses, en tout cas pas à la hauteur de ce qu’elle nous aura apporté ! Parce que les premiers livres qui ont retracé les débats de l’époque ont été dirigés par les féministes dont elle s’était éloignée en soutenant le 5ème amendement. Mais aussi parce qu’au fond, Lucy s’en souciait peu : seules les causes qu’elle défendait lui importaient !
Les ressources disponibles sur Lucy stone
- Vous pouvez regarder et écouter Lucy : incarnée par Judith Kalaora dans I now pronounce you Lucy Stone, une performance célébrant le centenaire du droit de vote des femmes aux États-Unis présentée par la Stratford Historical Society (non sous-titrée).
- Un podcast très intéressant : Le féminisme en héritage : Alice Stone Blackwell, fille de Lucy Stone et Henry B. Blackwell, Mémoire et transmission des savoirs féministes, visibilité et invisibilité du savoir des femmes, 2017 , Hélène Quanquin.
- Lisez le discours de Lucy Stone à Seneca Falls, en 1848 : “Disappointment Is the Lot of Women”, retranscrit dans History of Woman Suffrage, vol. 1, Elizabeth Cady Stanton, Fowler and Wells, 1922, pp. 165–167.
- Des ouvrages pour en savoir plus sur Lucy Stone :
Lucy Stone: An Unapologetic Life, Sally G. McMillen Oxford University Press, 2014.
Lucy Stone: Pioneer of Woman’s Rights par sa fille, Alice Stone Blackwell (1930, republiée en 1971).
Pour en savoir plus sur les luttes pour les droits des femmes
Suffragistes et suffragettes : la conquête du droit de vote des femmes au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, Béatrice Bijon, Claire Delahaye, ENS, Collection Les fondamentaux du féminisme, 2017.
Citoyennes ! – Il était une fois le droit de vote des femmes, Caroline Stevan et Elina Braslina (Illustrateur) : un album qui retrace la conquête du pouvoir politique féminin du 18e siècle à nos jours.
Le Centre National du Cinéma et de l’image Animée recense des œuvres de fictions cinématographiques traitant du droit de vote des femmes.
[1] « It shall be the business of my life to deepen this disappointment in every woman’s heart until she bows down to it no longer. », Lucy Stone
[2] « Mon nom est mon identité et ne doit pas être perdu »
[3] New England Woman Suffrage Association puis American Woman Suffrage Association
[4] « I think, with never-ending gratitude, that the young women of today do not and can never know at what price their right to free speech and to speak at all in public has been earned. », Lucy Stone
[5] « Now all we need is to continue to speak the truth fearlessly, and we shall add to our number those who will turn the scale to the side of equal and full justice in all things. », Lucy Stone