Ces femmes qui nous inspirent : Wangari Muta Maathai, Nobel combattante
A l’origine de moom, un combat pour les Femmes, pour la Nature et les générations futures. Aux sources de cette détermination à faire les choses autrement, des Femmes inspirantes. Nettie, Lucy, Wangari, Ynestra & Rachel. Des Femmes qui, par leur histoire, leurs écrits, leurs actes, nous donnent de l’espoir et l’envie de faire bouger les lignes. Des Femmes qui nous éblouissent de leur force au détour d’une lecture ou d’une conversation. À notre goût, bien trop souvent oubliées de l’histoire officielle et de Wikipédia. Ces Femmes, nous avons voulu leur rendre hommage. En donnant leurs prénoms à chacun de nos produits et en vous racontant qui elles étaient, ce qu’elles nous ont légué.
Aujourd’hui nous partons au Kenya, à la rencontre de Wangari Muta Maathai. Première femme africaine à avoir reçu un prix Nobel. Son surnom de Femme qui plantait des arbres paraît bien réducteur au regard de son exceptionnel parcours de vie.
Wangari Muta Maathai, la féministe : s’émanciper d’un destin écrit d’avance
De la campagne kényane au Ph.D.
Wangari Muta naît en 1940 dans une hutte sans eau courante ni électricité d’Ihithe, un village de campagne de l’ethnie Kikuyu. Dans un Kenya encore colonie britannique, mais au cœur d’une société agraire restée très traditionnelle avec une division sexuelle bien marquée. On donne aux hommes les missions politiques, les travaux de force, la chasse et l’élevage, la guerre. Les femmes ? Elles gèrent l’intendance, la logistique : labours, récoltes, transport du bois et de l’eau, cuisine. Le destin de Wangari semble tout tracé.
Cependant, la colonisation finit par atteindre le village. Les terres sont confisquées au profit des colons. La famille s’installe en ville pour y trouver du travail et les garçons vont à l’école. Wangari ? Son statut de fille aînée de 6 enfants la voue aux tâches ménagères. Mais la révolte et la ténacité sont inscrits dans les gènes de la famille. L’un de ses frères s’étonne de cette injustice ? Leur mère, à force d’opiniâtreté, obtient que Wangari soit scolarisée. Inespéré à cette époque ! Wangari se révèle une élève brillante et sort major de promotion de son école. Cela devrait lui ouvrir toutes les portes… si elle n’était pas une fille. Qu’à cela ne tienne : la société kényane lui demande de choisir entre enseignante ou infirmière ? Passionnée de nature, elle se promet d’aller plus loin. Elle obtient une bourse de la fondation Joseph P. Kennedy. Ensuite, elle part étudier aux Etats-Unis puis en Allemagne et devient la première femme d’Afrique de l’Est et Centrale Docteur en Sciences : Ph.D. en médecine vétérinaire.
Une vie de combats féministes
Ce parcours déjà hors du cadre lui insuffle une force incroyable. Et une conscience aigüe de la nécessité de lutter contre les inégalités, notamment de sexe. Une ténacité qu’elle va déployer dans sa vie professionnelle, militante et personnelle.
L’école vétérinaire de Nairobi l’embauche en tant qu’assistante de laboratoire puis professeur ? Elle ne se contente pas de savourer cette victoire mais conteste avec sa collègue Vertistine Mbaya l’inégalité de traitement entre hommes et femmes : salaire, logement, assurance sociale, retraite. Sororité et détermination vrillées au corps, elles ruent dans les brancards. Grande campagne de sensibilisation, transformation de la gentille association des professeurs dont elles ont été élues déléguées en syndicat. Le rouleau compresseur est en marche, gagne et ne s’arrêtera plus. Première femme à accéder à de hauts postes à responsabilité au sein de l’école vétérinaire. Elle mène une carrière brillante et prend la tête du département d’anatomie vétérinaire en 1977.
Des combats personnels
Côté personnel, ça déménage tout autant. Mariée et mère de 3 enfants, elle vit un divorce conflictuel, initié par un mari l’accusant de toutes les fautes pour l’obtenir légalement. Il lui reproche d’être « trop instruite, trop forte, trop brillante, trop obstinée et trop difficile à contrôler ». Cela ressemble à un compliment ? Pas pour lui ! Pour le tribunal non plus : le divorce est prononcé aux torts de Wangari. Et fortement médiatisé. Eh oui, les hommes ont tout intérêt à dissuader les femmes de suivre le mauvais exemple de Wangari ! Encore une fois elle ne se laisse pas faire, accuse le juge d’être au choix corrompu ou incompétent… Et écope de 6 mois d’emprisonnement. Incarcérée et humiliée, la sororité éclaire à nouveau son chemin. Orchestrée par de bienveillantes codétenues, la médiatisation de sa situation permet sa libération sous 3 jours.
En parallèle, Wangari mène une vie militante tout aussi riche. Bénévole pour des associations promouvant la place des femmes dans la société et l’université kenyanes, luttant pour l’environnement, dirigeante de l’antenne nationale de la Croix Rouge dans les années 70… Son grand combat ? Il va réunir féminisme et écologie lorsqu’elle prend douloureusement conscience du désastre que le développement du commerce international fait subir aux terres kenyanes. Et aux femmes.
Féminisme, écologie et démocratie : des combats indissociables
Planter des arbres pour l’environnement et l’égalité
Déforestation, confiscations et privatisations, surexploitation : les forêts kényanes cèdent la place au désert, la contamination des sols en produits phytosanitaire est galopante. Faune et flore s’appauvrissent, la population manque de nourriture et ressources. Les femmes, doivent aller de plus en plus loin pour leurs taches traditionnelles : la collecte du bois du foyer et du fourrage pour les animaux occupe tout leur temps. Des conditions peu favorables à leur émancipation !
La nature et les femmes ont besoin d’arbres ? Wangari va planter des arbres ! Avec les femmes. Des arbres pour empêcher l’érosion, maintenir les fleuves irrigués, abriter les animaux, donner de l’ombre et du bois. Les villages et les villes ont besoin de ceintures vertes : le Green Belt Movement naît. 7 arbres sont plantés le Jour de la Terre, en l’honneur des femmes engagées dans le mouvement environnementaliste kényan. Puis des dizaines, des centaines, des milliers à travers tout le pays. Plus de 50 millions aujourd’hui ! Avec toujours les femmes au cœur : ce sont elles qui plantent, suivent et gèrent les plantations.
Des arbres, mais pas seulement
Wangari sait qu’il faut aller plus loin. En 1982, elle quitte son poste universitaire pour peser par la voie des élections. Le pouvoir en place prend peur, l’écarte du scrutin sous un prétexte administratif, Wangari se retrouve sans emploi ni logement. De quoi se laisser abattre ? Pas Wangari ! Elle transforme l’épreuve en opportunité. Après quelques conférences rémunérées pour assurer ses ressources, elle peut se consacrer entièrement à la Ceinture Verte. Avec l’aide de partenariats et financements de structures norvégiennes, elle obtient moyens, médiatisation et reconnaissance internationale. La ceinture verte devient un épais manteau forestier dans la vallée de Murang’a. Les pépinières essaiment à travers le pays, les femmes qui les gèrent sont désormais rémunérées. Au milieu des années 80, Tanzanie, Ouganda, Malawi, Lesotho, Ethiopie, Zimbabwe expérimentent la Ceinture verte et le mouvement diversifie ses actions : malnutrition, pauvreté, conditions de vie, dérèglement climatique (déjà !). Wangari n’est pas que la femme qui plantait des arbres, son mouvement non plus. Elle le dit elle-même :
« Peu à peu, la Ceinture verte ne sema plus uniquement des arbres, mais aussi des idées. » [i]
« When we plant trees, we plant the seeds of peace and hope. »
« Quand nous plantons des arbres, nous plantons les graines de la paix et de l’espoir. »
Des pépinières à la conquête de la démocratie
Le mouvement de Wangari prend de l’ampleur et le pouvoir en place, corrompu et secoué par des révolutions, se sent de plus en plus menacé par son succès. Rendez-vous compte, le mouvement « aid[e] les femmes (et les hommes) à s’organiser pour leur permettre de faire par elles-mêmes et pour elles-mêmes ce que l’Etat n’avait aucune envie de faire « [i]… !
Au fil des combats, le bras de fer se durcit. Un étudiant alerte Wangari en 1989 des menaces qui pèsent sur le parc d’Uhuru, le plus grand de Nairobi. Le Président projette d’y construire un gratte-ciel avec, tant qu’à faire, une immense statue à sa gloire. Wangari remue ciel et terre pour mobiliser des alliés de poids, au niveau national, à l’UNESCO, informe la presse, initie un débat national, va jusque devant la cour suprême… Qui rejette sa demande d’arrêter les chantiers. Le Président déclare » pour retrouver son honneur de vraie femme africaine, elle ferait mieux de respecter les hommes et de se tenir tranquille « . Il ne se contente pas de mots : un acharnement de contrôles administratifs se déchaine contre la Ceinture Verte et désormais aucune association féministe kényane ne pourra plus recevoir d’aide au développement sans l’accord du gouvernement. Tout cela pour faire renoncer Wangari ! C’est mal la connaître : sa détermination en sort renforcée ! Elle mobilise l’opinion internationale, les investisseurs étrangers préfèrent se désengager de ce projet controversé, définitivement enterré en 1992.
Un élan démocratique
Cette victoire préserve le poumon vert de Nairobi mais montre surtout que les citoyens ont les moyens de faire plier le pouvoir ! Un immense espoir de liberté et de démocratie s’empare du Kenya. Le pouvoir s’affole, ses milices menacent Wangari. Elle le dénonce ? Cela lui vaut une nouvelle nuit en cellule… Et, à sa sortie, une banderole « Wangari, fille courage du Kenya, plus jamais tu ne seras toute seule sur ta route » brandie par l’association de défense des droits des femmes kényanes : son audience et sa détermination en sortent plus fortes que jamais. La Ceinture verte devient porte-parole de la résistance.
Aux côtés de leurs mères, elle réclame la libération des prisonniers politiques en entamant en 1992 une grève de la faim d’un an dans le parc d’Uhuru, marquée par les violences policières, jusqu’à ce que le régime cède. Craignant une issue similaire à celle du génocide Tutsi au Rwanda, Wangari dénonce aussi l’instrumentalisation par le pouvoir de violents affrontements ethniques, sur fond de confiscations de terres par l’Etat et de déplacements arbitraires de population. Malgré une reconnaissance internationale dès 1993, avec le prix Jane-Addams du Leadership Féminin International, elle le paie par la clandestinité et voit ses partisans succomber à de curieux accidents.
Mais si le pouvoir continue impunément de déboiser et confisquer des terres publiques protégées pour ses intérêts privés, Wangari et son mouvement replantent inlassablement. Parfois au prix de violentes agressions dont l’une faillit lui être fatale… Mais le fut finalement au pouvoir, médiatisant ses méthodes de voyous condamnées par de nombreuses personnalités, organisations et ambassades à travers le monde. En 1999 la confiscation des terrains publics est interdite, l’alternance politique arrive 3 ans plus tard, menant Wangari au Parlement (avec 98% des suffrages !), portée par le slogan « Lève-toi et marche ! « , puis au Ministère de l’Environnement et des Ressources Naturelles.
L’héritage de Wangari Muta Maathai
En 2004, la petite fille née 64 ans plus tôt dans un village Kikuyu, destinée à passer sa vie à aller chercher du bois et de l’eau, reçoit le prix Nobel de la Paix. Pionnière, encore une fois. Non seulement Wangari Muta Maathai en est la première femme africaine lauréate, mais c’est aussi la première fois que le prix Nobel met en évidence le lien entre paix et gestion durable des ressources. Récompensant ainsi plus de 30 années d’un combat acharné. Un combat qu’elle mena jusqu’au bout. À son décès d’un cancer, en 2011, son souhait de n’abattre aucun arbre pour elle fut respecté. Son cercueil fait de bambou et de fibres de jacinthe fut enterré dans son si cher parc d’Uhuru, près d’un arbre planté par ses petits-enfants.
Wangari Muta Maathai fut une femme d’exception qui sut s’extraire de la fatalité, entraînant des millions de gens à ses côtés. Elle occupa des postes prestigieux, reçut une reconnaissance internationale et mena de nobles combats au péril de sa vie, au mépris de son propre confort. Même si i avoir le courage de tenir tête à des milices armées de machettes, rester nuit et jour dans un parc pendant toute une année pour ses convictions n’est pas à la portée de tout le monde. Ses combats et la force avec laquelle elle les a menés alors que tout semblait indiquer que c’était perdu d’avance peuvent nous inspirer. Et nous donner l’envie de prolonger ses combats.
Ecologie, féminisme, combat pour l’égalité et la démocratie : tous ces combats sont liés.
“À l’heure où des hommes et des femmes continuent inlassablement de reboiser la terre blessée et dénudée, beaucoup d’autres individus de par le monde veillent également au bien être de notre planète bleue. Car on ne peut rester indifférent aux dégradations de l’environnement, pas plus qu’aux terribles souffrances que génèrent ces atteintes. C’est pourquoi nous continuons le combat. La seule réponse est l’action, et nous n’avons le droit ni de fatiguer ni de renoncer. Un seul mot d’ordre : lève toi et marche ! Nous le devons à la génération actuelle et aux générations future – à l’humanité, mais aussi à toutes les espèces vivantes qui peuplent la Terre.”
Wangari Muta Maathai, Mama Titi (la Mère des Arbres, en Swahili)
Pour aller plus loin
Pour connaître le Mouvement de la Ceinture Verte : http://www.greenbeltmovement.org/
Wangari Muta Maathai a écrit de nombreux ouvrages (tous ne sont pas traduits en français), notamment :
- son autobiographie, Celle qui plante les arbres, éditions Héloïse d’Ormesson, 2007
- l’essai, Réparons la Terre, éditions Héloïse d’Ormesson, 2012
Pour faire découvrir l’histoire de Wangari et de la Ceinture Verte à vos enfants :
- Karine Yeno Edowiza, Les petites graines de Wangari, histoire à colorier librement inspirée de la vie de Wangari Maathai, 2017, auto-édition
- Franck Prevot, Aurélia Fronty, Wangari maathai la femme qui plante des millions d’arbres, aux (géniales !) éditions Rue Du Monde, mai 2011
- Claire A. Nivola, Mama Miti, la mère des arbres, éditions Seuil Jeunesse, 2013
- Pour les un peu plus grands : un court métrage Film Hommage à Wangari Maathai par Alan Dater and Lisa Merton, les auteurs du documentaire Taking Root, the vision of Wangari Maathai
Ecoutez Wangari nous parler : Wangari Maathai’s speech at World Forum Lille 2008 et les témoignages de personnes dont elle a changé la vie : La révolution des arbres de Wangari Maathai
[i] Dans son autobiographie Celle qui plante des arbres
Crédit photo : Speak truth to power
Mama Writer : Gaëlle Ruby
Gaëlle est une femme aux multiples pouvoirs : RH, rédactrice, Freelance et maman de 3 enfants. Elle porte toutes les casquettes à la perfection. Ayant vécu 3 grossesses, militante pour le droit des femmes et l’environnement, elle a créé en 2009 Ti-bahou : la boutique éthique des p’tits Loulous et leurs (futures) Mamans ! Les articles qu’elle nous écrit d’une plume énergisante permettent de redonner le pouvoir aux futures mamans. Elle nous donne toutes les ficelles pour prendre sa grossesse en main, découvrir notre potentiel et consommer moins mais mieux en connaissance de cause 😉 !